Le journal du grand Maître de thé
par KOBORI Sojitsu,
treizième grand Maître de l’Ecole Enshu Sado
Notre propre capacité[mois d’août 2018]
La saison des pluies s’est terminée le 29 juin dernier à Tokyo, la ville que j’habite. Il parait que c’est la plus courte saison des pluies jamais enregistrée depuis qu’on avait commencé à faire une observation météorologique. Plus d’un aura eu le sentiment qu’à Tokyo, il y a eu peu de jours humides pendant cette période. Mais, dans d’autres régions, il y a eu des pluies torrentielles qui ont fait des dégâts considérables. En plus, on a plus de séismes que d’habitude, ce qui nous inquiète un peu à franchement parler.
De nos jours, la plupart des fonctions d’une société sont mécanisées, automatisées, électrifiées et numérisées. Ce système commode s’avère malcommode et inefficace une fois catastrophe arrivée. Dernièrement, lors du séisme de force 6 qui a frappé la ville d’Osaka, la plupart des moyens de transport en commun ont été arrêtés momentanément. Ce n’est pas parce que ces moyens de transport ont été tous endommagés, mais parce qu’il a fallu un certain temps pour vérifier s’ils pourraient fonctionner normalement. Avant qu’on tranche la question, tout est interrompu. Voilà la réalité. Nous sommes obligés d’accepter ce processus d’autant que notre vie s’appuie sur des outils mécaniques. Il est hors de question que l’humanité s’affranchisse de ce mécanisme. Pour autant, il me parait nécessaire de remettre en valeur la capacité propre à l’humanité. Je veux dire par là qu’au lieu de tout numériser, il faudrait réserver une place à l’analogique.
Dans notre société moderne où tout est numérisé, sans parler de domaines à haute technicité tels que l’ordinateur, même au niveau de notre foyer, une fois qu’il y a dysfonctionnement d’un dispositif quelconque, il n’est pas facile de le réparer. Autrefois, s’il s’agissait d’une petite panne, nous pouvions la réparer nous-mêmes. Mais, aujourd’hui, si nous nous aventurons à toucher au cœur du dispositif en panne, nous courons le risque de perdre la totalité des données de celui-ci. La conservation des données au Japon est assurée depuis longtemps dans beaucoup de domaines dont celui de l’art de thé par du papier et de l’encre de Chine. Les kakemonos de l’époque Heian conservent leur valeur en traversant plus de mille ans d’histoire. Tant que le papier et l’encre ne s’useront pas, leur valeur sera intacte.
Je ne nie pas les données digitales, mais je voudrais que l’humanité garde, en matière de pensées, une part de nous-mêmes qui ne s’appuie pas sur des outils mécaniques. Force est de constater que la mémoire de l’homme s’altère considérablement à tel point que, dans mon cas par exemple, je suis désormais incapable de me rappeler certains numéros de téléphone, dont parfois le mien, alors que dans l’ère analogique, j’avais au moins cent numéros en tête. Si l’on s’appuie sur des matériels, on obtient confort, mais il y a toujours quelque chose de perdu en même temps. Je pense qu’il est grand temps de réfléchir sur ce que nous pourrons et devrons faire nous-mêmes.