Mon père et M. Seizo Hayashiya, second épisode[Septembre 2017]

Le journal du grand Maître de thé
par KOBORI Sojitsu,
treizième grand Maître de l’Ecole Enshu Sado

Mon père et M. Seizo Hayashiya, second épisode[Septembre 2017]

Il fait très chaud tous les jours au Japon. On emploie souvent l’expression ‘chaleur violente’ comme si l’expression ‘chaleur caniculaire’ ne suffisait pas pour décrire ce qui nous frappe. Dans ce contexte de changement climatique, une partie importante de l’ile Kyushu a été frappée par des pluies diluviennes qui ont fait des dégâts matériels et en hommes considérables. Je souhaite de tout mon cœur que les régions sinistrées soient rétablies le rapidement possible.

Ce mois-ci encore, je me permets d’écrire sur les relations entre mon père et M. Hayashiya.

Les deux hommes entretenaient leurs relations essentiellement à travers les cérémonies du thé présidées par mon père, celles organisées par M. Hayashiya, ou les tables rondes ou les colloques animés par cette revue mensuelle. Comme je l’ai écrit le mois dernier, ces deux ainés approfondissaient leurs liens notamment lors des cérémonies du thé présidées par mon père. Ils y échangeaient leurs points de vue sur le concept de l’art de thé et les ustensiles de thé tantôt sereinement, tantôt violemment. Pour un assistant comme moi qui se trouvais dans le service de fourniture d’eau, c’était un moment extrêmement précieux. Depuis l’affaire de la cendre du premier ‘furo’, j’ai entendu dire que M. Hayashiya racontait un peu partout que les cérémonies du thé de mon père réservaient toujours des surprises heureuses, des émotions et des enseignements. Parmi ces nombreux épisodes, il y en a un qui est très célèbre.

L’épisode s’est passé lors d’une cérémonie du thé tenue fin novembre d’une certaine année. Soit dit en passant, il est difficile d’organiser pour la maison d’un maitre de thé, -c’est mon cas d’ailleurs-, des cérémonies du thé du premier ‘ro’ début novembre, car elle a trop de tâches à accomplir. On organise certes l’ouverture du ‘ro’ début novembre, mais on a du mal à présider une cérémonie du thé à cette occasion. Et dans le jardin de notre pavillon de thé « Jojuan », les arbres prennent de belles couleurs entre le 28 novembre et le 5 décembre. C’est la raison pour laquelle nous organisons des cérémonies du thé du premier ‘ro’ à cette période.

Le préambule terminé, le jour de l’épisode, les arbres étaient tout rouges. Les convives étant partis momentanément après leur première entrée dans le salon de thé, mon père s’occupe de la préparation de la cendre, acte auquel notre école accorde une grande importance. La préparation de la cendre a un intérêt pratique : elle vise d’une part à faire sentir la chaleur aux convives qui avaient froid en restant dehors et, d’autre part, à faire de l’eau chaude. Comme il s’agit du prologue d’une cérémonie du thé qui a pour but d’apaiser l’esprit des invités, il ne faut pas que cet acte prenne un air trop sérieux, mais il ne faut pas non plus qu’il soit négligé. L’élégance est de mise.
En ce qui concerne les matériels de préparation de la cendre, le plus important est la boite à enceins, ensuite la boite à cendre et puis le balai de plumes. Ce jour, M. Hayashiya a extrêmement apprécié la façon dont mon père a manié son balai de plumes. On utilise plusieurs types de plumes, à commencer par celles de grue. Cette année-là, mon père faisait appel à celles de grand oiseau. Ce balai de plumes de grand oiseau ne figure pas dans la collection de l’école, mais il est très ancien. Ses plumes sont très tendres. A les manier, on a l’impression qu’elles bougent comme si l’oiseau volait de ses ailes. Lorsque mon père a nettoyé le récipient du ‘ro’, j’ai eu l’impression, à travers les ‘fusuma’, d’entendre un soupir d’admiration des convives. Par la suite, mon impression a été confirmée par ces derniers. Il parait que M. Hayashiya lui-même l’a évoqué plusieurs fois dans des conférences.

Cet épisode a des suites. Mon père a invité M. Hayashiya à une cérémonie du thé organisée ultérieurement. Au moment où il commençait à préparer la cendre, son ami a fait une remarque sur la manière dont mon père a manié son balai, en disant : « C’est un peu différent de la fois précédente… » Mon père répond : « Oui, parce que vous en parlez un peu partout… » Cela s’arrêtait là. Par la suite, lorsque j’ai rencontré M. Hayashiya, celui-ci m’a dit : « Il est intéressant de voir que même un virtuose comme votre père peut être influencé par des remarques » Lorsque j’en ai parlé à mon père, celui-ci m’a répondu en souriant : « Cela peut arriver » Je me suis dit que l’art de thé est très profond.

Avant de terminer cet article, je voudrais présenter mes condoléances à la famille de M. Senno Tanaka, ex-président de l’association japonaise de l’art de thé, qui nous a quitté le 31 mai dernier. M. Tanaka nous apporta un soutien précieux dans le cadre des activités de l’association de l’art de thé de Tokyo.