« Jeter tout »[Février 2017]

Le journal du grand Maître de thé
par KOBORI Sojitsu,
treizième grand Maître de l’Ecole Enshu Sado

« Jeter tout »[Février 2017]

A peine a-t-on accueilli le nouvel an que nous sommes déjà au mois de février. Comme le temps passe vite ! Comment avez-vous passé vos premiers jours de la nouvelle année ? Dans une société moderne où la vitesse est la loi, on s’interroge parfois, avec une certaine inquiétude, si l’on n’est pas en retard par rapport au rythme de la vie auquel vivent la plupart des gens. D’un autre côté, il me semble important que l’on fasse son propre chemin sans se laisser perturber par des voix criardes. En fait, ce qui compte, c’est l’équilibre. J’observe qu’il y a moins en moins de Japonais qui savent entretenir cet équilibre.

Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui, au lieu d’essayer d’aller au juste milieu, ne vont nulle part dans une apathie totale, ou agissent par opportunisme, ou alors se comportent de manière irresponsable.

J’entends dire souvent que nos jeunes d’aujourd’hui n’accordent pas d’importance à l’amour. La tendance que l’on observe serait qu’un garçon et une fille s’attachent à une amitié tout court sans essayer d’aller jusqu’à une relation amoureuse et charnelle. Ne pas vouloir être blessé ou blesser l’autre en serait la raison principale. Quand un jeune ou une jeune reste dans ce schéma-là, le développement de sa personnalité sera limité et sa vie manquera de profondeur. J’aime bien regarder des feuilletons télévisés, mais aujourd’hui, rares sont ceux qui ont pour thème l’amour. Il parait que, avec ce thème-là, on ne peut guère espérer une grande audience. Un scénariste de grand renom me disait un jour que des drames historiques ou ceux concernant la vie des médecins sont plus sollicités que des drames d’amour.

Je me suis écarté un petit peu du sujet de mon article, mais ce dont je voulais parler, c’était justement l’équilibre. Je vous fais remarquer que les dirigeants japonais d’autrefois, même ceux du monde économique, étaient très versés dans l’art du thé et dans d’autres domaines culturels tels que les poèmes chinois anciens et la peinture. Et que des personnes d’horizons différents échangeaient très librement. Ce temps est presque révolu. La raison en est que, comme je l’ai dit tout-à-heure, le rythme de la vie est trop accéléré et que nos politiques comme nos industriels hésitent à faire un pas par manque de confiance en eux-mêmes ou par peur du ‘Qu’en dira-t-on ?’.

Je pense que la culture d’un homme se développe lorsque celui-ci tâche d’aller puiser des inspirations dans un univers qu’il ne connait pas. A l’occasion des premières cérémonies du nouvel an, j’ai pendu au mur du tokonoma un kakejiku sur lequel on lit : Hôgejaku ou Jeter tout. Le choix de cette calligraphie est motivé par un objectif que je me suis fixé pour cette année, celui de jeter tout ce que j’avais amassé en moi pour repartir. Je ruminerai cette maxime Zen tout au long de 2017.