Les cérémonies du thé sous la neige[Mars 2016]

Le journal du grand Maître de thé
par KOBORI Sojitsu,
treizième grand Maître de l’Ecole Enshu Sado

Les cérémonies du thé sous la neige[Mars 2016]

Les premières cérémonies du thé de l’année s’étaient-elles à peine achevées que nous voyions le mois de février s’écouler très vite et nous accueillerons bientôt le mois de mars. Entre-temps, j’ai eu l’honneur de présider une série de cérémonies du thé : au temple Meiji (qui honore l’empereur Meiji) ; au siège de l’association des écoles de thé de Tokyo ; et chez moi pour honorer le dieu Tenjin auquel notre famille est traditionnellement très attachée.

Les premières cérémonies du thé de l’année que je viens d’évoquer sont organisées de nos jours à Tokyo et à Fukuoka. Celles organisées à Tokyo ont lieu bien entendu chez moi. Autrefois, elles se déroulaient pendant quatre jours, mais aujourd’hui, elles durent six jours, les visiteurs devenant plus nombreux.

Celles organisées à Fukuoka ont commencé il y a treize ans à l’occasion de l’ouverture de la Maison de la culture de Sâdô d’Enshû, la représentation de notre école dans l’ouest du pays. C’est donc pour la douzième fois qu’elles ont été organisées cette année.

Les séances de thé à Fukuoka, qui ont duré deux jours, m’ont laissé un souvenir inoubliable, car elles se sont déroulées par des jours de neige.

Déjà quelques jours avant mon départ de Tokyo, la météo annonçait qu’une vague de froid jamais inégalée dans le passé frapperait la partie occidentale du pays. Je me disais que je devrais m’attendre à une situation embarrassante due à la neige. Mais, comme je suis de ‘ceux qui apportent le beau temps’ (j’ai effectivement plusieurs fois réussi un tour de force malgré l’annonce du mauvais temps), je suis parti pour Fukuoka avec un petit peu d’espoir pour le temps qu’il ferait.

La veille de la première journée de séance, certes il faisait froid, mais je ne voyais pas de signes de la tombée de neige. Et le jour même, au matin, il ne neigeait pas et je pensais que cela tiendrais. Mais dans l’après-midi, je me suis aperçu que des flacons de neige commençaient à tomber. Après, je me suis concentré sur ma prestation de thé épais et n’ai pas fait attention à la situation du dehors. La dernière séance de thé terminée, j’ai regardé dehors et ai constaté qu’il y avait une certaine couche de neige. Mon inquiétude s’accroissait.

Le matin de la deuxième journée, à peine levé, depuis la fenêtre de ma chambre d’hôtel, j’ai découvert une ville de Fukuoka entièrement blanche. J’ai eu du mal à louer un taxi, mais enfin, j’ai pu arriver au siège de la Maison de la culture. Quant aux convives, ils sont venus apparemment sans rencontrer de difficultés majeures. Je les félicite pour les soins qu’ils auront pris pour arriver en temps utile. Nous les avons chaleureusement accueillis pour répondre à leurs attentes.

Parmi les invités, il y avait le moine du temple Yakushiji M. Kato qui a tenu des propos fort intéressants : « La journée d’aujourd’hui restera inoubliable : avant d’arriver sur les lieux de la cérémonie du thé, devant moi, tout était blanc sans aucune trace de pas. Et lorsque je me suis retourné, je n’ai vu que les traces de mes pas. Il n’y aura jamais une belle journée comme celle-ci »

Lorsque j’ai entendu ces paroles, j’ai tout de suite pensé au kakemono du moine de zen Koun que j’ai disposé lors d’une de mes premières cérémonies du thé. Celui-ci porte seulement le mot « un » écrit en grosse lettre et en bas le même mot en petite lettre. Le reste est blanc. Ceci correspond tout-à-fait au paysage décrit par le moine Kato.