Le journal du grand Maître de thé
par KOBORI Sojitsu,
treizième grand Maître de l’Ecole Enshu Sado
Ce qui change et ce qui ne change pas[Février 2016]
Nous avons bénéficié d’un temps clément pendant les trois premiers jours du nouvel an. Chez moi, comme à l’accoutumée, se sont déroulés dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier certains actes rituels (une dégustation du thé de bonheur à minuit, un petit déjeuner traditionnel et une première cérémonie du thé).
Vue de l’extérieur, cette coutume peut apparaitre comme inchangée depuis longtemps, mais moi, j’ai une autre pensée.
Je n’ai pas d’informations très précises sur ce que je relaterai ci-dessous, mais il se trouve que, depuis que mon père a fait construire une nouvelle maison à Shinanomachi dans l’arrondissement de Shinjuku, il fut un temps où il existait deux salles d’entrainement de l’école Enshû, une à Shinanomachi et une autre à Aoyama, celle tenue par mon grand-père Sômei. A l’époque, celui-ci exerçait encore la fonction de grand maitre de thé. Donc mon père n’accédait pas encore officiellement à cette fonction suprême, mais, dans la pratique, il remplaçait Sômei dans la plupart de ses leçons de thé. Pour être simple, on peut dire que la nouvelle salle d’entrainement de Shinanomachi était destinée aux nouveaux venus et celle d’Aoyama aux élèves anciens.
Il semble donc que mon grand-père et mon père exécutassent les actes rituels du nouvel an chacun de son côté. Et petit-à-petit, l’ensemble des activités de l’école se déplaçait vers ma maison de mon père. A partir de 1962, année où mon grand-père fut décédé et où mon père lui succéda en devenant le treizième grand maitre de thé de l’école Enshû, tout commençait à être organisé à Shinanomachi. Je suppose que mon père ait apporté de la nouveauté à ce qui constituait l’art de thé d’Enshû. Je le dis, parce que, moi-même, j’apporte mes propres idées à cet art de thé tout en me fondant sur les grands principes du Chanoyu d’Enshû. Je suis convaincu que l’harmonie entre ce qui ne change pas et qu’on ne peut pas changer et ce qu’on change fait une tradition.
Je citerai ci-dessous quelques exemples. La fabrication d’une cuiller de bambou, un acte rituel désormais coutumier du nouvel an, ne se faisait pas toutes les années tout au moins au début du règne de mon père et cela encore moins au temps de mon grand-père. J’en veux pour preuve que, chez moi, il n’y a pas beaucoup de cuillers de bambou liées au thème de poème pour le nouvel an. C’est seulement à partir de l’année 1965 que mon père pris l’habitude de faire une cuiller chaque année. Et depuis que j’ai succédé à mon père en 2001, mon père et moi-même ont respecté cette coutume durant dix ans.
Quant au récipient de bambou vert, son usage date seulement d’environ quarante ans. Mais entre-temps, pendant de nombreuses années, cette pratique fut abandonnée en raison du flétrissement de tous les bambous disponibles sur le sol japonais. Depuis que je suis devenu grand maitre de thé en 2001, je fais chaque année deux tronçons de bambou verts sans nœuds avec deux entrailles, un gros et l’autre petit, et un autre tronçon avec une entaille. Il est possible que j’aie désormais plus de récipients de bambou que mon père. Cela dit, les tronçons de bambou séchés ne sont pas tous en bon état, donc je ne peux pas établir une bonne comparaison entre les deux nombres. De toute façon, si je vis encore, j’aurai fait plus de récipients de bambou que mon père.
A la lumière des actes rituels que je viens d’évoquer, vous comprendrez que, chez moi, il y a des choses qui ne changent pas et il y en a d’autres qui changent. Au temps du père fondateur Enshû, celui-ci allait souvent à la station thermale d’Arima vers la fin de l’année pour se rafraichir l’esprit et le corps. Chaque fois je lis quelques lettres et calligraphies rédigées par Enshû et dans lesquelles ce dernier raconte son séjour aux eaux, je l’envie un peu. Mais je pense que notre époque est somme toute plus heureuse.