Le journal du grand Maître de thé
par KOBORI Sojitsu,
treizième grand Maître de l’Ecole Enshu Sado
Inauguration[Septembre 2015]
Cet été est aussi chaud et humide que toutes les autres années. Et les nuits tropicales se succèdent comme si c’était quelque chose de courant. Dans ces conditions, j’imagine que nombreux sont ceux qui ont un sommeil difficile. Surtout, depuis quelques années, la précipitation prend une allure tropicale au Japon, causant des dégâts importants dans tout le pays. Je saisis cette occasion , d’une part, pour témoigner de la sympathie aux victimes des sinistres et, d’autre part, pour vous recommander de prendre les dispositions nécessaires face aux typhons qui risqueraient de venir.
Le 30 juin dernier, à Takagamine dans la ville de Kyoto, j’ai été chargé d’installer une bouilloire à l’occasion de l’inauguration d’un pavillon de thé baptisé « Yousuitei » restauré et transféré. Soit dit en passant, celui-ci fut construit par Kobori Enshû, fondateur de l’école Enshû.
On dit que cette construction fut réalisée à la demande de Gotô Kakujô, héritier d’une famille spécialisée dans le travail de l’or ayant servi les quatre Shoguns ou seigneurs, Ashikaga, Oda, Toyotomi et Tokugawa depuis l’époque de Muromachi. Kakujô était également un orfèvre agréé auprès de Maeda Toshitsune, chef du fief Kaga. Je pense que la raison pour laquelle j’ai été désigné pour installer la bouilloir est qu’Enshû avait des relations très cordiales avec ce daimyo auquel ce pavillon fut dédié.
Ce salon de thé se caractérise par la présence de nombreuses fenêtres de styles divers qui se chiffrent à treize. Et ce qui est davantage singulier est que certaines de ces fenêtres ne sont pas faites de shôji, mais de fusuma.
Lors de l’inauguration, j’ai fait en sorte de faire un bon timing de l’ouverture et la fermeture des fenêtres et du lever du sudare afin de bien mettre en relief la différence entre la clarté et l’obscurité en réfléchissant sur la pensée d’Enshû. Ce que je viens d’évoquer est sans doute très difficile à saisir si l’on n’était pas sur place, mais la methode que j’ai suivie avait l’air de plaire aux invités.
En ce qui concerne la combinaision d’ustensiles de thé, j’ai pris en compte un certain nombre d’éléments : le fait qu’il s’agisse d’une inauguration, les liens entre la famille Maeda et Enshû, les relations entre Enshû et Kakujô ou les caractéristiques de Takagamine, localité où se trouve le pavillon. J’ai finalement choisi, comme kakemono, une calligraphie faite par Shun-oku Sôen, le 111e responsable du temple zen Daitoku-ji et qui fut un patrimoine de la famille Maeda. Pour boîte à thé, j’ai pris celle qui s’appelle « Takigawa » qu’Enshû offrit à Toshitsune et sur le couvercle de laquelle celui-ci écrit une inscription. Et comme tasse à thé, j’ai porté mon choix sur celle fut faite par Hon-ami Kôetsu et qui s’appelle « zézé kôetsu ». Certains d’entre vous doivent savoir que cette tasse fut utilisée à l’occasion de l’offre de thé faite par Enshû au troisième Shogun Iyémitsu dans le bois de Shinagawa le 21 mai 1636. Cette prestation permit au praticien de l’art de thé de se faire valoir en tant qu’instructeur en thé du Shogun. Je vous rappelle que, lorsqu’Enshû accompagnait Iyémitsu dans la visite du temple Tôshôgû à Nikô où est honoré son grand père Iyéyasu, le premier Shogun, il reçut ordre de la définition d’un plan d’un nouveau pavillon de thé à Shinagawa et qu’Iyémitsu passa à Kôetsu commande d’une tasse que nous connaissons. Ce dernier était alors considéré comme une figure de premier plan dans le domaine de l’art moderne de l’époque. Cette tasse avait toujours été un objet à ne pas sortir de ma maison, mais j’ai décidé de la sortir comte tenu de l’organisation de l’inauguration d’un pavillon de thé à Takagamine. Et la famille Hon-ami et la famille Gotô étaient liées par le fait que la première fabriquait des sabres et la deuxième parait ces derniers d’or. A la lecture du programme d’une cérémonie du thé organisée par Enshû, on comprend que les membres de ces deux familles y étaient invités. Ce fait élargit la dimension historique de l’utilisation de cette tasse lors de l’inauguration. En ce qui concerne les autres ustensiles mis en oeuvre lors de cette dernière, je vous demande de bien vouloir vous référer au programme du jour.
Après avoir décidé de la combinaison des ustensiles à utiliser lors de l’inauguration, j’ai feuilleté le programme d’une autre cérémonie du thé organisée le 20 octobre 1645 par Enshû vers la fin de sa vie et à laquelle Kakujô était convié. Et je me suis aperçu qu’une tasse à thé de la même inspiration que « Takigawa » fut utilisée lors de cet événement. Cela m’a permis de constater, une fois de plus, les liens forts qui unissent nos maisons respectives, liens longs de plus de quatre cents ans.