Le journal du grand Maître de thé
par KOBORI Sojitsu,
treizième grand Maître de l’Ecole Enshu Sado
Séparation [Avril 2015]
Le 21 février dernier, le très célèbre acteur de kabuki Mitsugoro Bando est décédé. Vous vous reppellerez sans doute que, dans le prologue du film « Mon père est un grand maître de thé », Mitsugoro buvait le thé que je lui ai servi.
Nous sommes nés la même année (en 1956) et fréquentions la même école maternelle. Nos pères se connaissaient très bien. Et il y a une trentaine d’années, nous nous sommes rencontrés officiellement en tant que dépositaires de la culture tradionnelle dans le cadre d’un projet d’une revue. La première impression que j’ai eue de Mitsugoro était : ‘Quel bel homme !’ C’était une impession très singulière que je n’avais jamais eue jusque là. Depuis lors, nous avons commencé à nous voir de temps à autre dans le cadre de séances de travail réunissant des praticiens de la culture japonaise.
Notre relation s’est approfondie depuis le mois de janvier 2001, période à laquelle il est devenu le dixième Mitsugoro et j’ai succédé à mon père en prenant le nom de Sojitsu. Nous avons participé, de manière croisée, à des émissions de télévision célébrant chacune de nos successions. Lors de la réception organisée à l’occasion de ma prise de fonctions, Mitsugoro a eu la gentillesse de faire une danse japonaise traditionnelle. Depuis lors, nous prenions des repas ensemble deux ou trois fois par an et ceux-ci se prolongeaient souvent avec dégustation de saké.
Dans nos conversations, nous nous disions souvent que nous devrions désormais s’assigner chacun pour objectif de devenir le numéro un du domaine et de faire bénéficier au public des meilleures réalisations. Nous étions également convainqus que notre mission était de transmettre notre savoir-faire aux générations futures. C’est dans cet esprit que, ces dernières années, lorsque nous nous voyions dans des repas, j’étais accompagné de quelques-uns de mes disciples et lui, de jeunes acteurs. Mitsugoro était une des rares personnes à qui je pouvais ouvrir mon coeur en dehors de mes relations professionnelles. Il était presque mon compagon d’armes.
Quand on vit longtemps, il est normal qu’on perde des gens qui lui sont chers. Mais, c’est la première fois que j’ai perdu quelqu’un de mon âge. Nous ne pourrons plus célébrer ensemble nos soixante ans. Je sais désormais ce que c’est qu’un sentiment de perte. C’est un choc terrible pour moi.
Une semaine avant sa disparition, il y avait une émission de télévision dans laquelle Mitsugoro, passionné de châteaux, faisait le guide de certains d’entre eux. Au cours de l’émission, j’ai essayé de le contacter par e-mail. D’habitude, chaque fois que je voyais ses prestations à la télévision ou au théâtre, je le contactait par e-mail à l’issue de ces dernières. Mais, là, je l’ai fait en cours d’émission. Mais il n’y a pas réagi et n’a pas répondu à mon e-mail depuis. Cela m’a un peu inquiété et j’ai demandé à un autre ami des nouvelles de Mitsugoro. La malheureuse nouvelle est tombée quelques jours après.
La disparition de Mitsugoro coïncidait avec la diffusion du film « Mon père est un grand maître de thé » à la télévision. La nouvelle de son décès a été donnée le soir du jour de l’émission. Cela veut dire que c’était dans mon film qu’il a fait sa première apparition officielle après son décès. Je ne puis m’empêcher de penser que nous avions des liens très singuliers. Je me permets de terminer cet article en rendant hommage à Mitsugoro.