Le journal du grand Maître de thé
par KOBORI Sojitsu,
treizième grand Maître de l’Ecole Enshu Sado
Préparation du thé dans une cérémonie du thé [Mars 2015]
Lorsque le mois de mars arrive, nous devons préparer l’organisation d’une grande cérémonie du thé qui aura lieu à la mémoire du père fondateur Enshû le dimanche de la deuxième semaine du mois au Club des beaux arts de Tokyo. Les invités devraient être, les disciples et les personnes extérieures confondues, au nombre de 600 environ. A l’exception du congrès national, cette cérémonie est la plus importante de l’année en termes de participation.
Lorsqu’il s’agit d’un congrès national, comme chaque atelier a son plan chronologique d’accueil des invités, ces derniers ne sont pas trop embarrassés par d’éventuels retards dans le déroulement des séances de thé. Mais dans d’autres types de cérémonie du thé d’envergure, il y a forcément du temps d’attente. Il s’agit là du principal ennui qu’ont les organisateurs de tels types de manifestation. Vouloir réduire peu ou prou le temps de chaque séance a ses limites, car, il faut tout de même respecter les différentes étapes de la préparation du thé.
J’assiste parfois à des cérémonies du thé dans lesquelles on brûle les premières étapes de la préparation. Personnellement, je n’aime pas trop cette façon de faire. Je souhaiterais que vous vous entraîniez bien quotidiennement à l’art de thé afin de pouvoir, si, un jour, vous êtes hôte dans un tel type de cérémonie, préparer minutieusement le thé sans hésitation et un peu plus prestement que d’habitude. En accumulant les expériences de ce genre, vous pourrez non seulement améliorer votre technique, mais aussi avoir confiace en vous-même.
Une fois que vous avez acquis la technique de préparation, vous pourrez échanger avec vos invités avec aisance. Mais, là encore, il ne suffit pas de bien parler. Dans une cérémonie du thé, on ne parle pas de la pluie et du beau temps. Il faut que l’hôte ait une bonne connaissance de l’art de thé. Si celui-ci se borne à citer le document faisant apparaître les éléments de la manifestation (noms des ustensiles, des fleurs posées dans le tokonoma, du vase, des boles à thé), la prestation sera insipide.
Cela est vrai également pour les invités. On assiste souvent à des scènes où l’hôte d’honneur interroge l’hôte par ordre sur le kakemono, le vase, la bouilloire et les étagères et celui-ci donne des réponses trop simples. Cet échange de propos figés est extrênement ennuyeux. A parler avec franchise, je dirai que cela ne constitue pas un échange. Je veux dire par là que ce genre de conversation ne laisse pas de résonnances. Si vous évoquez le nom de l’auteur du kakemono et que vous parliez d’un épisode quelconque relatif à celui-ci, la conversation sera d’une portée profonde. En revanche, si l’hôte vous montre un bole à thé et que vous disiez simplement « C’est beau », la conversation s’arrête là. Il faudra donc que vous sachiez dire des choses au delà des questions et des réponses simples sur les différents éléments que je viens d’évoquer. Cela permettrait d’animer la cérémonie du thé elle-même.
Lorsque je suis hôte d’honneur dans une cérémonie du thé, après m’être fait présenter les éléments de la cérémonie, je fais en sorte d’exposer mes idées là-dessus. Inversement, quand je préside une cérémonie, j’écoute attentivement les propos tenus par l’invité d’honneur pour vérifier si ces derniers laissent des résonnances allant droit au coeur des participants. Si j’estime qu’il y a quelque chose qui manque, j’essaie de compléter ces propos. Je pense qu’il s’agit là de la prévenance et de l’hospitalité que l’hôte doit prodiguer.
Mais, de temps à autres, cela ne marche pas. Dans la plupart des cas, la raison en est que les invités ne disent mot des différents aspects de la cérémonie. Malgré tout, je tâche d’animer celle-ci en me servant de toutes les cordes à mon arc...
Dernièrement, dans une dégustation de thé épais que j’ai présidée, du thé a été offert à tour de rôle d’abord à l’hôte d’honneur et ensuite aux autres invités par ordre de préseance. Tout le monde ayant été servi, j’attendais que l’hôte d’honneur demande quelque chose, tout au moins, le nom du thé servi. Mais rien. J’ai fini par présenter celui-ci. Toujours pas de réactions. J’étais très gêné et malheureux que la cérémonie se fût achevée dans une telle circonstance. J’aurais souhaité que l’hôte d’honneur me demande des explications, malgré sa tension, au moins sur le kakemono et l’arrangement floral. Si l’hôte d’honneur se montre hésitant, l’invité d’à-côté, c’est-à-dire le deuxième invité par ordre de préséance, devrait le pousser à parler. Dans cette cérémonie, ce deuxième invité était quelqu’un de rompu à l’art de thé, mais il n’a pas fait en sorte de pousser son voisin à s’exprimer. Le rôle d’un invité expérimenté consiste à aider un hôte d’honneur qui se tourmenterait sous la tension.
Des circonstances malheureuses telles que je les ai évoquées peuvent se produire de temps en temps. Elles m’ont conduit à penser que l’hôte d’honneur devrait se consacrer davantage à l’art de thé et que je devrais faire de même.