Le journal du grand Maître de thé
par KOBORI Sojitsu,
treizième grand Maître de l’Ecole Enshu Sado
Le savoir-faire pour le changement[Novembre 2013]
Chaque année, lorsque la nouvelle saison de thé (qui se traduit par l’installation d’un ‘ro’ dans un carré pratiqué dans les tatami) s’approche, chez les maîtres de thé, on sent la tension monter. Cette tension tourne pourtant en sentiment agréable pour les praticiens de l’art de thé.
Traditionnellement, les Japonais excellent à changer l’atmosphère d’un lieu ou d’un moment par l’introduction d’un petit quelque chose dans la vie quotidienne. Le changement de tenue en est un bon exemple pour la saison.
Quand on remplace les ‘sudaré’ (store en fin bambou) par des ‘shôji’ (portes coulissantes à lattis tendu de papier blanc) ou des ‘fusuma’ (portes à coulisse recouvertes de papier épais), la salle prend un tout autre aspect. Un autre exemple plus familier est fourni par la présence de ‘zabuton’ (coussin pour s’assoir sur les tatami) dans les pièces japonaises. En effet, dans une réunion quelconque, il suffit de jeter un coup d’oeil sur la disposition des zabuton pour connaître la préséance. Losque quelqu’un de supérieur vient subitement à la réunion, il convient bien sûr que vous lui cédez la place supérieure. Dans ce cas de figure, s’il n’y a pas de zabuton suplémentaire, vous retournerez votre zaboton pour le proposer à votre supérieur. Il est intéressant de noter que ce genre de présence d’esprit acquiert tout naturellement l’approbation de tous.
Je vois très peu d’exemples à l’étrange semblables à ceux que je viens de citer en matière de changement subit de représentations saisonières ou de préséance. On peut affirmer que la culture japonaise est très raffinée et pleine d’esprit.
Dans le domaine de l’art de thé, on a souvent recours à des idées de changement ou de remplacement. L’installation d’un ro en novembre en est un exemple à citer le premier. En effet, il suffit de changer un tatami et d’installer un ro pour que vous ayez la sensation d’une autre saison. S’agissant de la préparation du thé léger, après le ‘higan’ (périonde de sept jours au cours de laquelle les gens se rendent sur les tombes de leurs ancêtres), contrairement à la période d’avant higan, on prend une cuillerée de thé dans un endroit proche de soi dans la boîte à thé . Et il y a deux manières de boire du thé et de poser le puisoir sur la bouilloire selon qu’il s’agit de la période de furo ou de ro.
En pratiquant l’art de thé, on voit aiguisée naturellement sa sensibilité à l’alternance de la clarté et de l’obscurité. Par exemple, dans un salon de thé où les treillis en bambou ou en bois sont couverts de ‘sudare’ (store en fin bambou), après avoir bu son thé épais, on est agréablement surpris de voir que ces sudare sont enlevés. La préséance dans un salon de thé peut également changer : dans une cérémonie du thé officille ou dans une séance de thé épais, selon la position du service, lors de leur deuxième entrée, les invités sont amenés à prendre des places opposées à celles qu’ils avaient occupées lors de leur première entrée.
Ce genre de comportement des invités n’existent nulle part ailleurs. Que les invités s’assaient dans la même formation, mais dans un ordre renversé est propre à l’univers de thé.
Même le tokonoma, élément central du salon de thé, peut changer en un seul coup : le kakemono que vous avez vu lors de votre première entrée est enlevé dès que vous avez quitté le salon et losque vous faites votre deuxième entrée, vous constatez qu’il est remplacé par un ensemble floral qui vous surprend agréablement. On ne manquent pas d’exemples : la manière de se servir des baguettes lors d’une cérémonie du thé officielle ; la façon de tourner son bol à thé etc.
Les efforts que nous déployons pour mieux réaliser ces changements contribueront à enrichir notre vie. Je souhaite que vous puissiez découvrir le savoir-faire pour le changement qu’a l’univers de thé.