La rencontre avec des ustensiles [mai 2013]

Le journal du grand Maître de thé
par KOBORI Sojitsu,
treizième grand Maître de l’Ecole Enshu Sado

La rencontre avec des ustensiles [mai 2013]

Nous sommes enfin dans une saison où il est agréable de regarder la nouvelle verdure. Dans l’univers de Chanoyu (cérémonie du thé), nous installons le ‘furo’ et, du coup, le cadre de la cérémonie du thé change. J’aime beaucoup ce climat plein de fraîcheur.

Je me permets d’évoquer ici quelques réflexions que j’ai faites sur l’oeuvre du fondateur. Lors d’une cérémonie organisée en mars dernier à la mémoire d’ Enshû, j’ai retrouvé, dans une séance de thé foncé, le récipient en bambou « Miyamagi » en forme de ‘shakuhachi’(flûte japonaise) réalisé par Enshû. Le récipient « Sairai » que j’avais retrouvé lors de la cérémonie de l’an dernier est le plus représentatif de ceux de type ‘deux entailles’. Le « Miyamagi » est le seul du genre.

On dit que le genre ‘récipient en bambou’ trouve son origine dans les trois vases, « Onjôi », « Yonaga » et « Shakuhachi » que le grand maître de thé Rikyû réalisa avec du bambou de Nirayama. Personnellement, je pense que ce « Shakuhachi » est particulièrement représentatif de l’âme du ‘wabi’, un des éléments constituant le sens de la beaté que Rikyû a conçu. Hideyoshi, Shogun de facto de l’époque, se fut fait offrir le récipient et s’en servait de préférence. Mais lorsque Rikyû s’est donné la mort à la suite d’une querelle avec Hideyoshi, celui-ci l’aurait jeté. Yamaoka Sômu, un autre maître de thé, l’aurait récupéré et, depuis lors, il l’aurait conservé soigneusement tout en l’utilisant comme vase.

En fait, Enshû a eu possession de ce récipient et l’a conservé temporairement. Sans doute, Enshû retrouvait-il dans cet ustensile l’essence de l’âme du ‘wabi’. Il écrit une calligraphie sur la boîte contenant le bambou et demanda à Takuwan Oshô de rédiger un rappel historique du récipient. Son attachement à celui-ci était tel qu’il prépara un ‘kakemono’ sur lequel il écrit un poème et qu’il demanda à Kogetsu Oshô de préparer un ‘kakemono’ d’accompagnement.

L’image de ce récipient restait sans doute dans l’esprit d’Enshû. Un jour, il découvrit du bambou dont l’air qui se dégageait rappelait le « Shakuhachi » de Rikyû. Et il en fit le « Miyamagi ». En tant que celui qui a l’habitude de faire des récipients de bambou, je mesure la joie que notre père fondateur eut à ce moment-là. Enshû demanda à Kogetsu Oshô d’écrire un poème au dos du couvercle de la boîte contenant le « Miyamagi ».

Le « Shakuhachi » et le « Miyamagi » se ressemblent, portant chacun un noeud dans le bas et se posant renversés. Mais si le noeud du premier se situe un peu en haut de la base, celui du deuxième est à proximité immédiate de cette dernière. Ce qui permit au tronçon de bambou de se présenter plus charnu. Cette manière de couper d’Enshû est bien symbolique du sens de la beauté de celui-ci, ‘kirei sabi’ qui se différencie du ‘wabi’ de Rikyû.
En tant que disciple d’ Enshû, j’étais extrêmement heureux de retrouver le « Miyamagi » lors de la cérémonie du thé que je viens d’évoquer.

A la même période, l’exposition « le sens de la beauté d’Enshû et de Fumai » s’est déroulée au musée de Nezu à Tokyo. J’ai eu le plaisir de visiter cette exposition la veille de son ouverture grâce à la gentillesse du directeur du musée, M. Nezu. J’ai pu y voir tout une série d’ustensiles des collections d’Enshû et de Fumai du ‘kirei sabi’.

On dit que l’art d’Enshû est synthétique. La caractéristique de celui-ci est que ce grande maître de thé ne considérait pas les boîtes à thé ou les bols à thé comme de simples ustensiles de la cérémonie du thé, mais presque comme des objets d’art. La preuve en est qu’ Enshû préparait soigneusement des couvercles de boîtes à thé, des sacs à ustensiles, des plateaux, des récipients pour contenir des boîtes à thé, des inscriptions à mettre sur les boîtes. En plus, il donnait des noms à certains stensiles et les écrivaient sur les boîtes contenant ces derniers. Et il préparait également des ‘kakemono’. Matsudaira Fumai, ce seigneur féodal et maître de thé de la fin de l’époque Edo, se sentait des affinités avec l’âme de la cérémonie du thé de son pionnier et ajoutait à sa collection de réalisations d’Enshû des boîtes sur boîtes. C’était donc un immense plaisir que j’ai eu à voir ces collections.

Celles-ci montraient que la cérémonie du thé n’est pas simplement faite des différentes étapes de sa préparation et des ustensiles utilisés, mais aussi d’éléments divers tels que l’âme et la spiritualité qui la soutendent, le design du jardin et bien d’autres.
A l’époque où les gens ont tendance à jeter facilement des choses, cette exposition nous aura montré combien il est important d’en prendre soin.