Le journal du grand Maître de thé
par KOBORI Sojitsu,
treizième grand Maître de l’Ecole Enshu Sado
Qu’ est-il advenu de mes sourcils ? [mars 2013]
Nous allons bientôt passer au mois de mars. Comme le mois de février compte moins de jours que les autres mois, il passe vraiment très vite. Dans une maison comme la mienne où l’agenda de janvier est bourré de manifestations diverses, on n’a pas le temps de souffler, le ‘setsubun’ (la veille du printemps selon le calendrier lunaire) et le premier jour du printemps arrivant tout de suite.
Cela dit, j’écris cet article à la fin de janvier. Dans le prolongement du précédent article où j’ai fait référence au thème de poème « tatsu » donné par la Maison impériale pour le concours poétique organisé à l’occasion du nouvel an, je souhaiterais évoquer à nouveau l’objectif que je me suis fixé pour cette année.
Dans un des livres sacrés du bouddhisme appélé « Hekiganroku », on trouve une expression japonaise qui se prononce « shouya ». Elle a été employée, dans une conversation Zen, par Chokei Eryo en réponse à une question posée par Suigan Reizan, tous deux disciples de Seppou Gizon. En fait, avant d’engager cette conversation Zen avec son camarade, Suigan Reizan avait prêché. Et il a eu le sentiment d’avoir été trop long, se rappelant une thèse selon laquelle si l’on enseigne trop, on perd de ses sourcils. Il a demandé à ses auditeurs qu’est-ce qu’il était advenu de ses sourcils. La réponse donnée par son camarade a été : « shouya » qui veut dire littéralement « Ҫa pousse ».
Lors des premières cérémonies du thé que j’ai présidées à l’occasion du nouvel an, j’ai posé dans le tokonoma de mon pavillon de thé un kakejiku écrit par le 156e Moine de Daitokuji et dans lequel figure cette expression. Je n’ai évidemment pas la prétention de saisir la portée profonde de la conversion Zen engagée entre les deux hommes. Dans le choix de ce kakejiku, j’ai simplement fait référence à la similitude qu’il y a entre l’expression « shouya » et le thème de poème « Tatsu » que j’ai évoqué précédemment. Ces deux idéogrammes sont utilisés pour former des expressions telles que « partir pour », « prendre un essor » ou « voler de ses propres ailes » etc. Celles-ci se disent toutes de l’action d’avancer.
L’année d’avant, l’Ecole Enshu a perdu son ex-grand Maître Koshin Sokei, mon père. J’ai pensé que, un certain temps s’étant écoulé, notre Ecole devrait faire de 2013 une année de renouveau. Et à une échelle plus large, il y a deux ans, la grande catastrophe de Fukushima a infligé des souffrances indescriptibles au peuple japonais. Face à cette épreuve, nous devons rassembler notre courage.
2013 est l’année du serpent selon les signes du zodiaque chinois. On sait que le serpent fait peau neuve !
Et par ce choix du kakejiku, j’ai émis le souhait que la morosité dont souffrent la politique, l’économie et la culture de notre pays soit vaincue, et que 2013 soit une année vivante et génératrice d’espoirs qui nous encourage à vivre haut la tête.