Le journal du grand Maître de thé
par KOBORI Sojitsu,
treizième grand Maître de l’Ecole Enshu Sado
Le retour
Après un hiver très long, le mois d’avril nous a enfin apporté le printemps. Cesdernières années, les cerisiers fleurissaient dès le mois de mars, alors qu’on attendait cette floraison pour début d’avril. Ce qui faisait que les cerisiers devenaient en quelque sorte le symbole de la fin de la scolarité, non pas du début de celle-ci. Mais cette année, on a retrouvé ‘la normalité’ en voyant les cerisiers s’épanouir début avril. Comme je suis un des membres du comité des parents d’élève de l’école dont je suis issue, j’ai souvent l’occasion d’assister début avril à des cérémonies d’admission. Je m’attendris en voyant les élèves et leurs parents souriants se faire photographier sous les cerisiers en fleurs à la grille d’entrée de l’école.
Nous avons organisé le 11 mars dernier au club des beaux arts de Tokyo une cérémonie du thé à la mémoire du père fondateur Enshu. L’an dernier, en raison de la catastrophe naturelle qui avait frappé l’est du Japon, nous avions dû annuler cette cérémonie. Et comme par hasard, notre cérémonie du thé qu’on a l’habitude d’organiser le deuxième dimanche de mars tombait le jour anniversaire de cette tragédie.
Ce jour, avant de commencer la cérémonie du thé à proprement parler, nous avions souhaité le repos de l’âme de chacune des victimes de cette catastrophe et de celle du père fondateur Enshu en leur offrant du thé symboliquement avec deux bols à thé de faïence. En ce qui concerne la cérémonie du thé elle-même, j’ai demandé à MM. Nezu Kendou et Tanimura Sosho d’être co-hôtes de cette manifestation.
Dans le salon où s’est déroulée la séance de dégustation de thé en poudre fort, le récipient de l’arrangement floral fut le célèbre vase de bambou d’Enshu baptisé « Sairai » (retour). Il y avait un an, ce vase devait être utilisé, mais cela n’a pas été réalisé pour la raison que vous connaissez déjà. La mise à contribution du vase « Sairai », comme son nom l’indique, reflète notre souhait de voir se redresser les sinistrés de la catastrophe du 11 mars 2011.
Même si cet objet en bambou est très connu, il ne sera pas inutile d’en évoquer l’origine. Un jour, un des disciples d’Enshu, Watarai Takuan, montrait à son maitre un bambou avec deux entailles. Trouvant celui-ci trop long, Enshu en enleva le nœud supérieur. Ce fut la naissance d’un vase de bambou avec deux entailles et sans nœud qui n’existait pas. Un nouvel ustensile fut ainsi inventé et les dimensions de cet objet en bambou restent encore aujourd’hui celles qui sont propres à notre Ecole. A l’origine, ce récipient était accroché au mur, mais, posé, il est également beau. Par rapport au « shakuhachi » de Rikyu, le « Sairai » est la réalisation la plus représentative de la « beauté dans la sobriété » d’Enshu.
Et les co-hôtes m’ont demandé de concevoir un arrangement floral pour ce récipient. Il n’est écrit nulle part dans les annales de notre maison que quelqu’un d’autre qu’Enshu a posé des fleurs dans ce vase dans une occasion officielle. De mon vivant, j’ai une fois vu mon père poser des fleurs dans ce récipient, mais c’était uniquement pour faire des photos destinées au programme de la cérémonie organisée à l’occasion du 350e anniversaire de la disparition du père fondateur Enshu. J’ai voulu me servir de ‘kamohonnami-tsubaki’ et de ‘kibushi’ comme mon père en a utilisé. Je pensais que comme l’hiver était vigoureux, mon souhait serait difficile à réaliser. Mais le jour même, j’en ai eu d’excellents.
Le père fondateur fit son arrangement dans ce vase «Sairai », mon père a fait de même. Et maintenant, je le fais en souhaitant le redressement et la reconstruction des régions dévastées avec le « retour » des personnes sinistrées. Les fleurs elles-mêmes sont de ‘retour’. Dans cet état d’esprit, j’ai pris le camélia, l’ai élagué et l’ai posé dans le vase. Parfait ! Pour le ‘kibushi’, c’était pareil. J’étais très heureux.