A l’approche d’une nouvelle ère[mois d’avril 2019]

Le journal du grand Maître de thé
par KOBORI Sojitsu,
treizième grand Maître de l’Ecole Enshu Sado

Anticipation[mois de mars 2019]

Enfin, s’approche la fin du règne de notre Empereur qui abdiquera à la fin du mois d’avril prochain. Et son successeur trônera en mai avec la publication de la nouvelle ère. Comme je l’ai déjà dit plusieurs fois, ce sera un événement historique très important pour le Japon et pour les Japonais. Le fait que cette nouvelle ère n’ait pas été annoncée jusqu’ici conduit les Japonais à utiliser l’ère chrétienne 2019. Mais je souhaite qu’à partir de mai prochain, la nouvelle ère soit bien ancrée dans la vie nationale.
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Au cours de l’année dernière, quelques mots sont devenus à la mode dont celui d’anticipation. Il a été souvent utilisé dans sa forme verbale indirecte “anticiper sur”. Traditionnellement, l’acception japonaise de cette expression a un sens positif: agir d’avance sur de bonnes intentions en prenant en compte la pensée supposée de l’autre. Or, comme vous le savez, cette expression a pris un sens extrêmement mauvais l’année dernière dans le cadre d’une série de scandales politiques. En effet, elle a été utilisée pour définir les actes que certains bureaucrates font dans le but de plaire à des politiques ou à leurs supérieurs dans telle ou telle affaire étatique.

La langue japonaise a quelques expressions dont les sens respectifs sont contradictoires. Par exemple, dans nos milieux de Sadô, nous utilisons l’expression “kekkô”. Le plus souvent, nous prononçons ce mot pour dire "C'était bon" après avoir goûté du thé. Ce mot “kekkô” signifie à la fois "c'est bon" et "merci de m'avoir servi ce thé". Mais il peut prendre deux sens contradictoires lorsque celui qui s'est fait servir répond à son hôte qui propose une autre tournée en disant: "Comme c'était très bon, je veux bien, Monsieur." ou au contraire, "Comme j'en ai suffisamment pris, merci Monsieur." Dans les deux cas, on se sert de l'expression "kekkô”. On ne manque pas d'exemples de ce type qui montrent la richesse de la langue japonaise.

Or, le mot “anticipation est devenu le pire exemple négatif en matière d’expressions linguistiques dans le Japon d’aujourd’hui. Nous sommes amenés à penser que l’acception originelle d’une expression est morte. Je suis tenté de dire que la responsabilité de certains hommes politiques est lourde. J’ai cité le seul exemple « anticipation » cette fois, mais il y a eu d’autres cas où certains mots ont été défigurés. Au moment où nous arriverons à un tournant historique, j’appelle de mes vœux que nos compatriotes fassent attention à leur expression.