Appréciation des objets au fil du temps[Juillet 2016]

Le journal du grand Maître de thé
par KOBORI Sojitsu,
treizième grand Maître de l’Ecole Enshu Sado

Appréciation des objets au fil du temps[Juillet 2016]

La NASA américaine a récemment annoncé que cet été devrait être le plus chaud depuis que l’on a commencé à observer les températures. En effet, des informations indiquent que, dès la mi-mai, on a enregistré des températures supérieures à 30 degrés et que, partout dans le pays, le premier jour d’été est arrivé plus vite que toutes les autres années. Dans un pays comme le Japon où s’accélère le vieillissement de la population, le problème de coup de chaleur devient de plus en plus inquiétant. Les personnes âgées ont souvent des scrupules à utiliser la climatisation et évitent de boire de l’eau. Cette habitue est liée au souci de bien dormir la nuit. Mais comme le climat a radicalement changé et les conditions d’habitat ne sont plus les mêmes qu’autrefois, je vous recommande de prendre beaucoup d’eau.

La cérémonie du thé organisé en mai dernier dans le pavillon de thé « Kohoan » à Kyoto s’est déroulée dans un climat très agréable avec un ciel bleu propre à cette saison et un bon parfum de la verdure. La séance de thé épais et celle de thé léger se sont organisées toutes les deux avec la combinaison d’ustensiles liés au père fondateur Enshû et ont permis de montrer la qualité du Kireisabi.

Ce jour, je me réjouissais de pouvoir retrouver un objet que je n’ai pas vu depuis longtemps. C’était le pichet de Takatori sous forme de demi-lune que l’on a utilisé lors la séance de thé léger qui s’est déroulée dans la salle Bosen. La poterie de Takatori est, comme vous le savez sans doute, très liée à l’école Enshû. Il est de notoriété publique que Nagamasa et Tadayuki de la famille Kuroda demanda au père fondateur Enshû de former des potiers.

L’anecdote suivante est révélatrice de la rigueur de la méthode adoptée au début de la formation des potiers : une tasse de thé sur mille était sélectionnée et le reste était cassé. La poterie de Takatori finit pourtant par devenir l’une des plus représentatives des poteries réalisées sous la direction d’Enshû. On apprécie particulièrement les tasses de thé produites à cette époque sous l’appellation d’Enshû Takatori. Les poteries anciennes présentées sous cette appellation sont nombreuses, mais les vraies ne sont pas si nombreuses.

Le pichet que l’on a vu dans la salle Bousen est une poterie d’Enshû Takatori digne de ce nom. En matière de pichets sous forme de demi-lune, celui qui se trouve au musée mémoriel de Hatakeyama est très célèbre depuis des siècles. C’est une poterie dont le petit creux pratiqué à la face est couvert d’une assez jolie glaçure blanche. Tandis que le pichet que l’on a vu à Kyoto est couvert d’une glaçure brune sur son ensemble et la face porte une glaçure jaune tirant sur le marron. Cette glaçure jaune est également utilisée dans la célèbre tasse de thé de Takatori baptisée « Men ». Le pichet que j’ai retrouvé laisse voir des rainures fines sur son ensemble. C’est une façon préférée d’Enshû. De par ses couleurs, il a l’air sobre. Lorsque je l’avais vu il y a vingt ans, je m’étais senti attiré plutôt par l’autre pichet à glaçure blanche. Mais, cette fois-ci, ma préférence est allée vers le pichet sobre. En me demandant pourquoi j’ai changé de préférence, je me suis rappelé un poème et une anecdote du père fondateur Enshû.

« En vivant hier et aujourd’hui près de la rivière Asuka,
je ressens combien le temps s’écoule vite »

J’ai pensé que l’appréciation des objets change au fil du temps.