Le journal du grand Maître de thé
par KOBORI Sojitsu,
treizième grand Maître de l’Ecole Enshu Sado
La succession[septembre 2014]
J’ai le plaisir d’annoncer qu’une conférence de presse a été organisée à l’occasion de la mise en vente du « Teddy Bear Thé », projet mené en collaboration entre la société allemande Steiff et l’école Enshû. J’évoquerai les détails de cette affaire dans le prochain numéro de mon journal.
Comment le mois de septembre (‘nagatsuki’ en ancien japonais) est perçu par les Japonais ? Il est tout-à-fait naturel qu’avec ce mot, on pense à l’automne. Mais, ces derniers temps, dans nos conversations, on entend souvent : « Il fait encore chaud, n’est-ce pas, alors qu’on est déjà au mois de septembre ? » Autrefois, on utilisait l’expression « les restes de la chaleur » pour la fin d’août, mais aujourd’hui, on a tendance à la consacrer au mois de septembre. Le « Kikuzuki », autre nom du mois de septembre, représente plutôt l’avancée de l’automne avec la fraîcheur qui s’installe.
Autrefois, lorsque je me faisais entraîner à l’art de l’encens par mon père, à cette saison, celui-ci mettait souvent du ‘kikuno-shimotsuyu’, l’un des meilleurs bois parfumés du monde dans les frangrances combinées. Ce bois d’origine coréenne est précieusement conservé chez moi. Lorsque j’entendais le nom de ce bois, j’avais le sentiment qu’enfin, l’automne était bien arrivé. Et ce mot qui sonne si bien évoquait l’élégance de nos pionniers qui pratiquaient l’art de l’encens.
Parlant du mois de septembre, un autre élément vient à mon esprit. C’est le « Choyo no sekku », autrement dit la fête des crysanthèmes du 9 septembre sur le calendrier lunaire. Au Japon, dès l’époque de Nara (710 à 784 de l’ère chrétienne), la cour royale organisait ce jour une cérémonie de présentation de crysanthèmes. Il y a une anecdote selon laquelle si une femme fait sa toillette avec la rosée tombée sur un crysanthème couvert d’aoute, elle rajaunit. Chez moi, pour suivre cet exemple, chaque année, je fais faire par mes filles et mon épouse des crysanthèmes couverts d’aoute. Quelques-uns en sont présentés dans le dokonoma et les autres sont offerts à mes disciples d’un certain âge.
Je me permettrai de parler encore cinéma. Il y a une chose que j’ai découverte en ce qui concerne ce que j’avais écrit jusqu’à présent. C’est qu’il y a un point commun entre Kirk Douglas et Ichikawa Utaemon, respectivement une grande vedette de Hallywood et un acteur de premier plan du film historique et tous deux mes acteurs de prédilection : M. Douglas et Kitaoji Kinya, fils respectifs de ces stars, sont devenus tous deux acteurs qui ne cèdent en rien à leurs pères. Je peux citer d’autres actuers que j’aime beaucoup. Par exemple, c’est Burt Lancaster. Son fils était acteur aussi, mais il n’était pas une vedette.
Dans le domaine du film historique, Kataoka Chiezo était le meilleur du secteur avec Utaemon. Il était une grande vedette lorsque le cinéma japonais était à son apogée. A cette époque, deux fois par an, en été et en fin d’année, le cinéma japonais produisait un film d’une distribution brillante. Les amateurs du cinéma se demandaient le quel d’entre eux jouerait le rôle principal. Je crois que Chiezo avait un fils qui travaillait comme acteur. Mais pour autant que je sache, il n’a pas eu une carrière brillante.
Il est assez étonnant de voir que, lorsque j’ai commencé à aimer ces deux grandes vedettes, l’une japonaise et l’autre américaine, leurs fils respectifs n’étaient pas très connus, mais ils sont devenus par la suite de grandes stars.
Dans le domaine du Kabuki où la succession de père à fils s’impose, lorsqu’un grand acteur joue sur la scène, les spectateurs se plaisent à se rappeler la voix, le regard et les gestes de son père. En le faisant, ils reconnaissent la succession qui s’opère et encourage l’acteur. Assurer la succession, c’est bien l’un des éléments de la culture japonaise.