Deux surprises[février 2014]

Le journal du grand Maître de thé
par KOBORI Sojitsu,
treizième grand Maître de l’Ecole Enshu Sado

Deux surprises[février 2014]

Comment avez-vous passé le début de l’année de cheval ? A l’instar de la course de chevaux, le démarrage est important dans n’importe quel domaine. Un bon démarrage permet un bon deuxième pas, un bon troisième et ainsi de suite. Et pourtant, comme un proverbe japonais dit, le bonheur et le malheur alternent souvent dans notre vie. Je souhaite donc avancer lentement, mais sûrement sans baisser ma garde.

Je me permets d’évoquer ici deux surprises que j’ai eues à la fin de l’année dernière.

La première surprise est arrivée le jour de la clôture des entraînements au profit de mes disciples. Chaque année, à l’occasion de cette clôture, j’offre du thé à ces derniers dans l’après-midi dans la salle d’entraînement de notre école en évoquant ce qui s’est passé dans l’année. Et le soir, j’organise un dîner en ville. C’est l’occasion pour moi d’échanger de manière franche avec ceux que je ne vois pas fréquemment. Lors du dîner de l’année dernière, au moment où nous finissions le potage, sont entrées subitement dans la salle une soixantaine de représentantes du monde entier participant au concours de beauté Miss International. En effet, ce concours devrait se tenir dans quelques jours à Tokyo et j’avais été désigné comme jury. C’est M. Shimomura, Président de la Japan Inter Culture, organisatrice de cette manifesation internationale, qui nous a réservé cette surprise bien heureuse. Il va de soi que mes disciples s’en sont réjouis. Quelques jours plus tard, avant la dernière épreuve, ces Miss se sont rendues à notre salle d’entraînement pour faire l’expérience de la cérémonie du thé. Je me demandais si elles seraient capables de se tenir assises les jambes pliées sur le tatami. Mais mon inquiétude s’est avérée vaine et elles se sont régalées de notre thé.

La deuxième surprise est arrivée au musée Nezu d’Aoyama à Tokyo. Comme vous le savez, l’exposition « Bols à thé d’Ido » s’y est tenue de novembre à décembre de l’an dernier. Elle était certainement de la plus grande envergure du genre, offrant au public environ 70 bols d’Oido, Koido et Aoido, dont le Kizaemon, bol classé trésor national. En fait, une image de ma session de thé figurait dans l’affiche de cettte exposition et j’en étais très honoré. J’avais déjà vu cette exposition à l’occaions du vernisage, mais je voulais la revoir. Comme elle était très prisée, je m’attendais à une foule. Heureusement, une semaine avant la clôture, un dimanche, j’ai été invité à y venir avant les heures d’ouverture officielles.
Ce dimanche, après mon passage au musée, je devrait aller à une cérémonie du thé avec mon épouse. Donc, nous nous sommes habihés en kimono. Lorsque nous regardions des objets exposés, un responsable du musée nous a dit : « Excusez-nous, ceci n’était pas prévu, mais Mme Caroline Kennedy, ambassadrice des Etats-Unis au Japon, va venir bientôt. Pourriez-vous l’accueillir avec nous ? » M. Nezu, directeur du musée, a fait venir son épouse à l’improviste. Une demie heure plus tard, Mme Kennedy est arrivée en visite privée. Nous l’avons accueillie à l’entrée. Je pensais que cette visite ne durerait pas plus d’une demie heure et me tenais prêt au dehors. Ce délai dépassé, comme elle ne sortait pas, je suis entré dans la salle. Et j’ai vu Mme l’ambassadrice en train de regarder les objets un à un très minutieusement. J’ai été réellement surpris par le fait qu’elle regardait les bols à thé d’Ido avec ardeur dont le Japonais moyen n’arrive pas à apprécier la beauté. Comme elle arrivait au bol Rokujizo de Koido, je lui ai expliqué le lien entre le fondateur Enshû et ce bol. J’étais très heureux de ce moment d’échange avec Mme l’ambassadrice. Celui-ci m’a semblé être un bon signe pour la nouvelle année.