Le journal du grand Maître de thé
par KOBORI Sojitsu,
treizième grand Maître de l’Ecole Enshu Sado
Les achats de fin d’année
Après avoir présenté les voeux de bonheur pour le nouvel An et terminé a peu près la série de manifestations prévues pour celui-ci, je me sens un peu détendu.
Lorsqu’on est maître de thé, on est très occupé en fin d’année et en début d’année. Dans mon enfance, effectivement, je n’avais jamais vu le personnel de ma maison désoeuvré à ces périodes. Chez moi, les adultes ont leur propre travail à faire et les enfants ont le leur.
En fin d’année, je fais naturellement un saut pour chercher un tronçon de bambou qui puisse être utilisé comme vase et m’acheter un ensemble de décorations pour le nouvel An. Dans une circonstance comme celle-ci, je me fais accompagner par mon fils pour que celui-ci, qui n’a pas souvent l’occasion d’être avec moi, puisse suivre mon action et comprendre mes idées.
Mon père faisais pareillement, lorsque j’étais enfant. J’accompagnais mon père dans sa visite chez le fleuriste et écoutais silencieusement la conversation qui s’engageait entre le fleuriste et mon père. Je me souviens que, comme celui-ci n’y allais qu’une fois par an, le patron du magasin avait un visage quelque peu tendu.
Mon père faisait là les achats correspondant aux besoins des trois premiers jours de janvier. Je me rappelle encore aujourd’hui qu’il ne faisait jamais d’achats inutiles. Cela n’est pas aussi simple qu’on ne le pense, car il faut prévoir l’état des fleurs dans les trois ou quatre jours qui suivent l’achat de ces dernières. Ses pronostics s’avéraient toujours justes et je restais admiratif.
Aujourd’hui, je joue le rôle que jouait autrefois mon père. Mais je ne provoque pas la tension sur le visage de mon fleuriste. C’est peut-être parce que je ne suis pas aussi imposant que mon père... A vrai dire, j’essaie de faire en sorte que mon interlocuteur ne soit pas tendu. Avec un interlocuteur décontracté, je communique mieux.
Lorsque j’achète des fleurs, je les imagine posées dans le vase. Il m’arrive parfois d’avoir une autre conception que celle que j’ai eue au moment de l’achat. Mais comme la configuration des branches et l’orientation des fleurs ne peuvent pas être changées, je reprends souvent l’idée initiale.
Comme mon père le faisait, je n’explique rien à mon fils. Je laisse ce dernier m’observer. Ce qu’il ressent dépend de sa personnalité et de sa sensation.
Je souhaite que les professeurs de thé adoptent au mois une partie de ce je viens de dire dans les relations avec leurs élèves. Savoir ce que l’élève cherche et ce qu’il a comme qualité est une condition requise pour un bon guide.